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L’inégalité d’instruction est une des principales sources de la tyrannie
Condorcet, Cinq Mémoires sur l’Instruction publique
L’enseignement va mal en France. La valse des ministres à laquelle on a assisté ces derniers mois en a administré une nouvelle preuve dans un climat qui n’est pas sans rappeler les dernières années de l’Ancien Régime où les secrétaires d’Etat et les contrôleurs généraux des finances se succédaient à un rythme effréné sans parvenir à guérir le royaume. Si aujourd’hui l’Education nationale dans son ensemble est souffrante, le collège se trouve dans un état particulièrement inquiétant. En septembre 2022, Pap Ndiaye ne le désignait-il pas comme l’« homme malade du système » ? Dans un contexte aussi dégradé, les médications annoncées par l’exécutif avec grand fracas comme un « choc des savoirs » apparaissent-elles pour le collège comme un coup de pouce ? un coup de com ? ou un coup de grâce ?
Les piètres performances du collège français
Les résultats aux tests du Programme international de suivi des acquis des élèves (PISA) évaluant les compétences des collégiens dans le cadre de l’OCDE depuis deux décennies dressent un bilan accablant du niveau des jeunes français.
« Les résultats moyens des élèves de 15 ans sont en forte baisse par rapport aux tests précédents de 2018 en mathématiques et en compréhension de l’écrit, et à peu près identiques à ceux de 2018 en sciences (c’est-à-dire que la légère baisse observée en sciences n’est pas statistiquement significative). Ainsi, entre 2018 et 2022, la performance des élèves en France a baissé de 21 points en mathématiques (contre 15 points pour la moyenne OCDE), de 19 points en compréhension de l’écrit (contre 10 points pour la moyenne OCDE) et de 6 points en sciences (contre 2 points pour la moyenne OCDE).
Dans l’ensemble, les résultats de 2022 sont parmi les plus bas jamais mesurés par l’enquête PISA dans les trois matières en France » (OCDE, Programme International pour le suivi des acquis des élèves (PISA) : Principaux résultats pour la France du PISA 2022, p. 5).
Désormais notre pays se situe au-dessous de la moyenne de l’OCDE pour la compréhension de l’écrit (474 points contre 476). Par ailleurs entre 2012 et 2022, il a vu sa part d’élèves très performants baisser de 5,5 points et celle d’élèves peu performants augmenter de 6,5 points...
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2000 |
2003 |
2006 |
2009 |
2012 |
2015 |
2018 |
2022 |
Compréhension de l’écrit |
505 |
496 |
488 |
496 |
505 |
499 |
493 |
474 |
Mathématiques |
517 |
511 |
496 |
497 |
495 |
493 |
495 |
474 |
Sciences |
500 |
511 |
495 |
498 |
499 |
495 |
493 |
487 |
Or l’enquête PISA évalue des compétences et il est particulièrement alarmant que les résultats des collégiens français n’aient jamais été aussi mauvais depuis que l’acquisition du socle de compétence est devenue la finalité de la scolarité obligatoire (article L122-1-1 du code de l’Education).
Les pouvoirs publics ne peuvent plus nier cette triste réalité. Lors d’une conférence de presse organisée le 28 août 2023 à l’hôtel de Rochechouart, Gabriel Attal alors ministre de l’Education nationale reconnaît la gravité de la situation « nous partons d’une situation où nous sommes en dessous de la moyenne européenne et internationale. En un quart de siècle, de 1995 à 2018, les évaluations internationales montrent que les élèves français ont perdu l’équivalent d’un an en termes de niveau. En 6e, près d’un élève sur trois ne dispose pas du niveau nécessaire en mathématiques et en français. » Et il annonce un « choc des savoirs. »
Les raisons de cette contre-performance
Les déclarations officielles apparaissent cependant surtout comme une opération de diversion, un escamotage destinés à dissimuler les causes et les responsables du marasme. Comment ne pas incriminer ici 50 années de contre-réformes qui ont diminué toujours plus la part accordée à la transmission des connaissances ? Selon leurs promoteurs, la priorité ne devait plus être donnée à l’instruction, suspecte de favoriser les inégalités sociales mais à la socialisation, au « vivre ensemble », où l’on doit « enseigner autrement », « autre chose » et à vrai dire plus grand-chose.
La loi Haby n°75-620 du 11 janvier 1975 relative à l’éducation, décidée par le président Valéry Giscard d’Estaing s’inscrit dans cette logique. Elle crée le collège unique présenté comme une démocratisation de l’enseignement alors qu’elle n’est en fait qu’une massification qui s’accompagne d’un appauvrissement des contenus et des exigences sous prétexte qu’il faudrait les adapter aux « nouveaux publics ». Ainsi les horaires disciplinaires sont révisés à la baisse : l’arrêté du 2 mai 1972 prévoyait pour les élèves de 6ème un horaire de 6 heures de français dont 3 à effectifs réduits, l’arrêté du 14 mars 1977 allège cet enseignement à 5 heures plus 1 heure de soutien, et celui du 20 juin 1985 l’abaisse à 4 heures 30.
La loi Jospin n°89-486 du 10 juillet 1989 d’orientation sur l’éducation, en prétendant mettre l’élève au centre du système éducatif, notamment par l’organisation de cycles, déconnecte la scolarité et l’orientation des résultats. Elle affaiblit le caractère national de l’éducation par le projet d’établissement dans la continuité des lois Deferre de décentralisation de 1982 et 1983.
Déclaration du comité confédéral national de Force Ouvrière de Strasbourg des 28 et 29 juin 1984, adoptée à l’unanimité « C’est l’émiettement de l’Education nationale. C’est livrer l’enseignement public aux féodalités locales et aux groupes de pression idéologiques et économiques au mépris de la laïcité, c’est comme nous l’avons déjà dit «privatiser» en quelques sorte nos écoles publiques. Et tout cela se fait dans une période de restrictions budgétaires qui conduisent à supprimer des cours, à augmenter le nombre d’élèves par classe pour économiser des enseignants. » |
La loi Fillon n°2005-380 du 23 avril 2005 d’orientation et de programme pour l’avenir de l’École subordonne la scolarité obligatoire à l’acquisition d’un socle commun de compétences minimal fort discutable, au détriment des savoirs disciplinaires. Sous couvert d’instaurer un droit à l’expérimentation (article L. 401-1 du code de l’Education), elle va encore plus loin dans la territorialisation de l’Education en permettant de déroger à la réglementation nationale ce qui, de ce fait, remet en cause l’égal accès de tous à l’instruction
Le décret Belkacem n°2015-544 du 19 mai 2015 et l’arrêté pris le même jour accentuent les attaques contre les savoirs disciplinaire sous prétexte d’interdisciplinarité (EPI), d’adaptation des enseignements aux territoires, et de mixité sociale (attaque contre les sections européennes et des classes bilangues…).
CSE du 10 avril 2015 Vote sur le projet de décret relatif à l’organisation scolaire du collège Pour : 51 (CFDT, UNSA …) Contre : 25 (FO, CGT, SNALC, SUD, FSU…) Abstention : 1 NPPV : 0 |
Les conséquences des choix passés
Dès lors, tout d’abord, que le collège n’est plus voué principalement à l’instruction comme le souhaitait Condorcet, c’est-à-dire ne développe plus le jugement, l’esprit critique, ne permet plus à l’individu de choisir la société dans laquelle il veut vivre mais qu’il a désormais pour mission essentielle la socialisation, assignant à chacun la place que croit bon lui attribuer la collectivité, un peu selon les conceptions de Philippe Meirieu, les effectifs par classe ne sont plus un problème. Plus on est nombreux plus on peut « faire société ». Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner si la France est le pays où les classes de collège sont les plus chargées : 25,6 élèves contre 22,8 en 2020- 2021 en moyenne dans l’Union européenne (DEPP, L’Europe de l’Education en chiffres 2022, mise à jour 2023 tableau 1.2.3)
La surpopulation dans les classes dégradant les conditions d’apprentissage, les tensions ne peuvent que croître comme l’enquête nationale SIVIS (Système d’information et de vigilance sur la sécurité scolaire) mise en place en 2007 par la DEPP semble en attester.
Taux moyen d’incidents graves pour 1000 élèves |
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2017-2018 |
2018-2019 |
2020-2021 |
2021-2022 |
2022-2023 |
Ecoles maternelles |
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1,2 |
2,1 |
1,9 |
3,0 |
Ecoles primaires |
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1,5 |
2,3 |
2,1 |
3,1 |
Collèges |
11,0 |
13,2 |
11,9 |
13,5 |
15,8 |
LEGT et LPO |
5,6 |
4,5 |
2,6 |
5,1 |
5,1 |
Dès lors que la priorité est désormais moins d’instruire, de transmettre des connaissances objectives comme le demandaient les théoriciens de l’Ecole de la République, que d’inculquer des compétences sociales (Philippe Meirieu, « L’Ecole ou la guerre civile »), des valeurs sans doute pétries de bonnes intentions mais subjectives et donc par nature sujettes à la polémique, il ne faut pas s’étonner que le collège devienne de plus en plus le terrain d’affrontement des diverses idéologies économiques, politiques, philosophiques ou religieuses.
« L’instruction publique n’a pas droit de faire enseigner des opinions comme des vérités ». Condorcet, Cinq Mémoires sur l’Instruction publique
Manifeste des instituteurs syndicalistes, 26 novembre 1905 « Notre enseignement n’est pas un enseignement d’autorité. Ce n’est pas au nom du gouvernement, même républicain, ni même au nom du Peuple français que l’instituteur confère son enseignement : c’est au nom de la vérité. Les rapports mathématiques, les règles de grammaire, non plus que les faits d’ordre scientifique, historique, moral, qui le constituent, ne sauraient dès lors être soumis aux fluctuations d’une majorité. » |
Dès lors, ensuite, que l’enseignement n’a plus pour mission première de transmettre des connaissances, il n’est plus nécessaire de recruter des personnels très qualifiés avec des rémunérations à la hauteur de leur niveau d’expertise. C’est sans doute pourquoi, selon les chiffres de l’OCDE, le salaire annuel moyen des professeurs exerçant en collège est inférieure à celle des pays comparables (OCDE, Regards sur l’Education, 2023, p.406).
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La consigne ministérielle est tombée comme un couperet dans les établissements en début de semaine. Dans le cadre de la réduction des crédits de 700 millions d’euros à l’Education nationale, le ministère avait demandé aux rectorats de reprendre les budgets correspondants aux Heures Supplémentaires (HSE) et Indemnités pour Missions Particulières non consommées dans les établissements. Des personnels engagés dans des projets se voyaient donc contraints de les abandonner du jour au lendemain ou de travailler gratuitement jusqu’à la fin de l’année.
Craignant la colère et l’explosion, le ministère annonce deux jours après que les moyens sont conservés jusqu’à la fin de l’année
La violence de cette nouvelle mesure d’économie a provoqué la stupéfaction à tous les étages : stupeur et colère chez les chefs d’établissements, dans les équipes enseignantes, dans les équipes pédagogiques, dans les services de gestion devant en quelques heures faire le bilan des moyens dépensés pour reprendre les enveloppes restantes. Une fois de plus, une fois de trop, du mépris face au rapt des moyens.
Ce gouvernement, manifestement en roue libre, qui ne fonctionne que par le mépris et les coups de forces, a finalement été contraint de reculer sous la pression des personnels et la menace de mobilisations.
Cela dit, la violence de l’annonce nous donne une indication du peu de cas que ces « gestionnaires » des économies de guerre font de l’institution scolaire, des droits des élèves et des personnels.
Bruno Le Maire n’a pas exclu de reprendre quelques milliards de plus cette année. S’agira-t-il de raboter les DHG de la rentrée ? De fermer plus de classes ? De fermer les établissements et les structures spécialisés ?
Mais son gouvernement a peur d’une généralisation des mobilisations, des grèves. Il craint la capacité de blocage des personnels avec le soutien des parents. Ce qui s’exprime partout en France à travers les mobilisations contre « le choc des savoirs » ne peut que les inquiéter.
Le rejet de leur politique est énorme…
Ils savent que tôt ou tard, tout cela leur explosera à la figure
Nous pouvons les arrêter ! Réunissons-nous en Assemblées générales, établissons les revendications et décidons des moyens à mettre en œuvre pour les obtenir. Allons chercher tous les moyens qu’ils nous doivent. Allons chercher les postes, les heures, les augmentations de salaire.
Montreuil, le 1er mai 2024
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